L’ARCHITECTURE MANIFESTE 2023

du 29 Novembre au 20 Décembre 2023

Douze agences sont invitées pour exposer autour de la pratique du projet, de sa conception même et non pas de son résultat, sous l’intitulé «Manifeste».

Pour ce faire, nous faisons appel à certains architectes dont les pratiques se croisent et nous présentons une réalisation de leur part mettant en scène leur démarche.
Il ne s’agit pas là de présenter une réalisation architecturale réalisée, en cours ou à venir.

Mais de présenter, à l’intérieur d’un volume précis, l’expression d’une démarche, d’une pratique, d’un cheminement de pensée, de processus desquels émerge l’architecture.
Seul le volume est donné, et aucune restriction de médium n’est imposé.

Le contenu même de l’exposition se caractérise par ces réalisations. La mise en scène de ces « objets » permet de comprendre, de comparer, des pratiques d’horizons divers, dont pourtant les résultats nous semblent proches.

Bref, cette idée de mettre en boîte son processus architectural nous semble intéressant lorsqu’il se retrouve confronté à d’autres.

LIVRET DE L’EXPOSITION

Crédits photos: Emmanuel GROUSSARD ©

55 – ANTOINE DEVAUX

Retourner ses yeux (contre soi-même)

Dans les années 70, l’artiste italien Giuseppe Penone porte à plusieurs occasions des lentilles de contact dont la surface miroitée reflète l’environnement qu’elles absorbent tout autant qu’elle rend l’artiste absolument aveugle et tout à fait imperméable à celui-ci.
Penone entend ainsi proposer une expérience introspective où l’interprétation individuelle artistique d’une réalité est éliminée au profit d’une confrontation brutale des spectateurs avec celle-ci, les renvoyant ainsi à leur propre responsabilité.

Oeuvrant comme architecte depuis 2015 dans ce territoire rural du Jura qui m’a vu grandir, c’est assez naturellement que je m’investis rapi- dement dans la réhabilitation de vieux corps de ferme Franc-Comtois.
Ces solides bâtisses, édifiées entre le 18 et le 19e siècle, sont exemplaires tant dans leur cohérence constructive que dans la relation qu’elles entretenaient avec l’environnement dans lequel elles s’inséraient. Pourvues d’une grange à foin, d’une étable et d’une porcherie, c’étaient alors tout autant des fabriques de transformation du territoire et donc de production du paysage qu’elles constituaient, en peu de pièces, un sobre foyer intérieur abritant la famille paysanne.

Aujourd’hui, les commandes qui me sont confiées en rénovation de ces bâtiments sont quasi systématiquement toujours liées au loisir. Ici une résidence secondaire, là un gîte, là-bas des chambres d’hôtes: ces programmes témoignent du changement radical de notre rapport au territoire que l’on ne produit plus collectivement mais que l’on consomme sans retenue aucune.
Jouissant innocemment des points de vue offerts par tel ou tel belvédère, c’est aussi installés bien au chaud derrière des baies toujours plus larges que nous contemplons désormais avec une légèreté guillerette ce paysage devenu idyllique, trempant dans l’illusion que tout est permanent, éternel et parfait.

Béat face à cette immédiateté panoramique castratrice, c’est ce glissement opéré d’une relation active et fusionnelle de labeur au territoire vers une relation passive et détachée de contemplation du paysage qui me questionne et anime l’essentiel de mon travail.
L’œuvre construite s’élabore alors au fil des projets dans la répétition d’un schéma: les espaces de vie sont tenus en retrait des façades, campés dans l’espace originel et cathédral de la grange, à l’orée du paysage. C’est là, en creux dans l’épaisseur de ce seuil élargi, que sont livrés à eux-mêmes les nouveaux occupants de ces fermes rénovées, sans cesse tiraillés entre leur intérieur domestiqué et cet indomptable dehors.

« Oui, comme tu le dis, la campagne est belle, les arbres sont verts, les lilas sont en fleurs ; mais de cela, comme du reste, je ne jouis que par ma fenêtre »[1]

[1] Lettre de Gustave Flaubert à son ami l’écrivain Maxime Du Camp

56 – ATELIER FEZI

Échantillons de matériaux bretons et prototypes réalisés au sein de notre atelier, ces demi-sphères sont extraites de notre matériauthèque. Ce référencement constitue un outil essentiel à notre pratique et engagement : « Fabriquer une architecture écologique issue de savoir-faire et matériaux locaux. ».
Tels des bijoux, ces demi-lunes ont été façonnées afin de révéler la préciosité des ressources de notre territoire. Superposées, elles évoquent un simple jeu d’assemblage, d’éveil, d’apprentissage, écho au message que nous souhaitons passer aux étudiants :

Cultivez votre « naïveté créatrice » ! Préservez votre appétit, votre plaisir de créer, de questionner, de réinventer ! Affronter les peurs que nous imposent les carcans réglementaires, administratifs et sociétaux ! Ayez une pratique engagée !

LEXIQUE :

Atelier / Coopérative d’artisans « Comme un Établi » Confronter théorie et pratique sur notre lieu de travail.

Combat / Écologie
Convaincre quotidiennement nos partenaires et clients de choisir local pour agir global.

Croyance / Matière
Aborder l’architecture durable auprès du grand public, de manière physique, tactile et sensible.

Métier / Architecte
Prescrire des matériaux locaux pour développer les filières quel que soit l’échelle ou le programme.

Mission / Design
Rechercher et prototyper pour nourrir notre architecture.

Mission / Médiation
Transmettre aux générations futures : acteurs et décideurs de demain.

Pratique / Expérimentation
Éprouver la matière par la main pour la comprendre et la prescrire.

Ressources / Matériaux locaux
Ancrer l’architecture dans son territoire et décarboner la construction.

Ressources / Artisanat
Disposer de connaissances mêlées du corps et de l’esprit nécessitant des apprentis et commanditaires.

Territoire / Bretagne
Arpenter son territoire, rencontrer ses acteurs, pour le connaître et le défendre.

 

MATÉRIAUX & ARTISANS (DE HAUT EN BAS) :

  • Plâtre – Moules

Provenance : Moules – Baie de Saint-Brieuc (22)

Fabrication : Atelier FEZI

  • Terre crue – Chanvre

Provenance : Terre crue – Gévezé (35) Chènevotte – Riec-sur-Bélon (56)

Fabrication : Atelier FEZI

  • Chaux – Algues

Provenance : Goémons / Algues vertes – Le Faou (29)

Fabrication : Atelier FEZI

  • Chêne brut

Provenance : Chêne – Forêt de Liffré (35)

Artisan : Jean-Pierre Guénée / Sculpteur – Tourneur – Pacé (35)

  • Granit

Provenance : Granit – Louvigné (35)

Artisan : Maillard & Maillard / Marbrier – Saint-Pierre-de-Plesguen (35)

57 – COLLECTIF DALLAS

Bricolée, assemblée, hors cadre, sous la forme de collectif, notre pratique se veut généraliste. C’est un processus en cours de construction, aux lignes floues et sans modèle établi : c’est expérimental. S’opposant à la sur-spécialisation vers laquelle beaucoup de métiers tendent aujourd’hui, ce non-professionnalisme revendiqué donne l’espace nécessaire aux tentatives, aux prototypes.

Nos moyens: un groupe mouvant de 3 à 5 personnes, un bureau de 20m2 et un atelier de 150 donnent l’échelle de nos projets, de l’objet artistique à la petite architecture.

La question de la matière prend une place majeure dans notre conception formelle du projet.

Le contexte définit généralement le matériau et interdit tout réflexe et systématisme. Ce matériau qui s’impose nous contraint à composer avec. A la fois source du projet et ressource du construit, il devient l’élément central auquel le reste du projet vient s’articuler.

Cette pratique nous confronte directement et frontalement au matériau, à l’échelle 1.

58 – COLLECTIF POURQUOI PAS

« Pendant quelques semaines et avec le renfort de bonnes âmes, nous pelletons, tamisons puis compactons la terre à l’aide d’une presse mécanique pour réaliser près de 2000 briques. Très vite, les premiers curieux débarquent : “qu’est-ce que c’est, qu’est ce que vous faites ? On peut vous aider ?” Et tous les jours, les enfants et les plus grands viennent sur le chantier pour donner un coup de main, parler du quartier, ou juste observer. Le projet permet de créer un espace d’échange. Le chantier devient l’outil relationnel. »

Débutant sa permanence architecturale au Mas du Taureau (69), alors en pleine mutation urbaine, le Collectif Pourquoi Pas !? installe une briqueterie associative au coeur du quartier. Cette dernière devient vite vecteur de rencontres, d’échanges et de projection humaine.

Cette expérience est — pardonnez-nous l’expression ! — la première brique de notre méthode de travail : faire l’architecture ensemble, pour une fabrique citoyenne et inclusive de la Ville.

59 – GENERALE

« Générale aime employer des moyens simples pour faire éclore des choses qui le sont moins ; elle aime vieillir avec ses projets, écouter ce qu’ils racontent et voir ce qui les abîme et les embellit.

Elle aime s’appuyer sur des contraintes fortes pour libérer de nouveaux usages, elle aime mélanger les genres et rassembler les fonctions. Elle n’aime pas se spécialiser et elle préfère l’apprentissage à la démonstration ; elle n’est ni vraiment reconnue, ni vraiment reconnaissable.

Générale utilise l’intelligence collective davantage que la hiérarchie, elle envisage son travail comme un assemblage d’esprits, de dessins puis d’espaces si nécessaire car elle aime peindre, creuser, perforer autant que construire et que, comme tout le monde, elle adore jouer dans les arbres.

Générale a six ans et vit à Bruxelles.
Elle n’aime pas être toute seule, elle est huit. »

60 – GUILLAUME APPRIOU

Il y aura un toit

Il y aura un toit. Ou des toits. Bi-pentes.

Ce toit dialoguera avec ce qui est déjà là, plus grand que nous. Le territoire. Le Finistère Nord. Il s’insérera discrètement parmi les autres, lisible par tous, fruit de ce patrimoine séculaire composé de chiens assis, de cheminées, de gouttières ou de pignons chevronnés. On jouera avec ces formes simples, anciennes, utiles, et on les prolongera humblement comme la suite d’un long récit.

Si le terrain est contraint, le toit penchera par ici, de biais, les pentes joueront d’asymétries. On ajoutera nos idées, on proposera, on invitera nos manières, nos libertés, notre affection : celle qui nous attache au lieu. Grâce à elle, on surveillera notre langage, on restera poli·e avec le paysage.

Sous ce toit, celui qui rassure, on assumera notre architecture. Généreuse, surprenante, complexe sans être hasardeuse. Par la volumétrie, le morcelé, la distribution, le partage de la hauteur, la matérialité, on saura reconnaître par qui, pour qui, pour où, quand et comment on aura voulu construire.

On se reverra, gamins, en train de lire une bande dessinée en écoutant la pluie tomber sur le velux. Alors, discrètement, du toit, on dessinera l’escalier descendant au rez-de-chaussée, puis le conduit qui guide la position du poêle donc du salon. On pensera d’abord à la charpente, aux fermes, au faîtage porteur. Ils seront peut-être visibles.

Sous le toit, sous les ardoises et les pentes qui éloignent les eaux, on créera un abri. Un abri plus fort que la rudesse de nos rochers ou la brutalité des tempêtes, un abri d’où l’on pourra contempler les paysages et les lumières qui changent avec les vents et les marées. L’abri sera solide, ancré, forgé par le climat comme les caractères ou les manières d’habiter ici. Et, si on peut, on essaiera d’apercevoir la mer, souvent mouvementée, toujours émouvante.

Sur cette côte découpée et sinueuse, on trouvera une place, comme une éclaircie, pour de nouveaux foyers. Viendront plus tard naître des souvenirs qu’on ne soupçonne pas.

Oui, il y aura un toit, et sous ce toit, on accueillera les copains. Ils entreront, enlèveront leurs chaussures et, ensemble, on se sentira bien.

61 – GENS

_ la création d’une ambiance propice à son usage et le contrôle de cette ambiance
_ le climat, considéré aussi comme un phénomène esthétique mais pas exclusivement
_ la prise en compte d’un usage, d’un process, sa monstration plus ou moins littérale
_ le déjà-là (un lieu, une communauté, une réglementation, un protocole…)
_ l’idée d’en faire le moins possible, mais lequel ?
_ la jouabilité, l’interactivité (l’humour ?)
_ la narrativité
_ l’assemblage précis de composants partiellement industriels et partiellement manufacturés
_ la possibilité de l’élégance (qui n’est pas le luxe)
_ l’invocation, sinon l’utilisation immédiate et naïve, de modèles culturels collectifs et identifiables _ l’intégration de contraintes techniques variées
_ l’absence d’expressionnisme, de cet exotisme déplacé, littéralement
_ la transparence
_ la transparence des effets_ l’économie de moyens
_ le soucis de la mise en scène, voire une certaine théâtralité

62 – AVENIER CORNEJO ARCHITECTES

Un détail sans échelle, invitation à se perdre dans l’imaginaire et à se projeter autour.
Construire les prémisses d’un univers inachevé en questionnant les dimensions, la dualité intérieure et extérieure, en cherchant dans nos mémoires, nos souvenirs.

Ici la matérialité du model fait office de catalyseur, déclenchant un imaginaire hors fonction, programmation et construction.

Nous nous intéressons ici à l’acte créatif, à la réflexion provoquée par un détail, à la transcendance de l’objet par la contemplation, au fil conducteur du processus qui précède le projet et qui évolue suite à son exécution.

La potentialité d’une maquette, d’un croquis ou d’une esquisse, comme outil de travail permet de confronter envies, désirs et besoins, faisant émerger un début d’architecture.

Un dialogue, un aller-retour constant entre hypothèse et réalité, à la frontière entre l’invisible et la réalité. La matière, l’espace, le vide et la lumière ont un langage à saisir, s’en approprier pour créer avec.

63 – META

Cloc’h

Instaurer un état d’esprit : le projet. La marche en avant vers une résolution.

Dans les circonstances, aiguiser l’envie de projet. La contrainte non comme obstacle mais comme matière raisonnable fondamentale du projet.

Pour bien des points cela relève du bon sens. Nous devons y répondre avec bon sens.

Notre métier c’est faire l’éloge du favorable ou transformer l’adverse en favorable.

Notre richesse : nos idées.

La spécificité du métier d’architecte est ce que nous nommons la supervision. En gardant notre visée, c’est notre capacité à partir de données hétérogènes, d’objectifs contradictoires et d’intérêts divergents à atteindre notre cible.

Cette résolution ne survient pas par magie – même si c’est parfois surprenant – elle apparaît parce que l’architecte raisonne de manière transversale avec une approche de type projet. Sur la base de fondements qu’il établit, sur la base de la question reformulée, il répond par une idée. Cette idée transforme la réalité. Nous appelons cet événement Idée-Réalité.

L’Idée-Réalité apparaît en phase opérationnelle. C’est la pression impérieuse de l’opérationnel qui met en demeure de trouver l’idée. C’est le « chercher-trouver ». A moins que ce ne soit le « trouver-chercher ». Ou encore le « trouver- trouver »

Il y a toujours un écart ou un dépassement entre ce qui a été imaginé au départ et la solution finalement retenue. Sinon nul besoin de concré- tiser l’idée. Nulle réalité de l’idée.

Aucune échappatoire !

La fonction est une apparence qui cache le réel. La représentation est une fiction qui double le réel. Le réel est ce qui est ici et maintenant présent.

À la fin tout fini par s’arranger.
Et si ça ne s’arrange pas c’est que ce n’est pas fini !

Pour que tout cloche, rien ne cloche !

64 – TACT ARCHITECTES

Matières entremêlées

JARDIN, les interstices de l’architecture

HABITAT, le langage d’une architecture qui relie

TOPOGRAPHIE, l’invention des paysages

RELEVE, les formes de l’existant

CADASTRE, les territoires de l’habiter

CAROTTAGE, le sens de la matérialité

Notre approche du projet se construit à la croisée de paysages pluriels et d’un entrelac d’épaisseurs.
Nos projets participent d’un nouveau devenir, d’une transformation, parfois complète, d’autres fois ponctuelle. Ils s’accrochent souvent à des figures existantes, se contorsionnent, transforment le déjà là sans le malmener, articulent des strates de signes entre elles, pour laisser place à de nouvelles histoires. Notre démarche part de l’exploration des lieux pour se saisir du réel et, à partir d’elle, y installer un projet contemporain qui y fait sens.

Considérer les formes de l’existant, c’est d’abord réussir à en rendre compte de manière soignée pour ensuite les interpréter et les trans- former. Cela mobilise des actes et gestes minutieux qui s’adaptent au cas par cas tout en croisant des réflexions menées à plus grande échelle. Cette méthode ne tend absolument pas à la conservation au sens statique du terme, elle envisage à la fois l’ablation, la réparation et la création comme des solutions permettant chacune de maintenir l’équilibre et la qualité de nos milieux habités et écosystèmes urbains. Elle considère l’architecture non pas comme un objet isolé mais bien plus comme un ensemble qui participe à un système dans lequel se mêlent de multiples échelles, du local au global.